Coordination de soins et relation ville-hôpital : une initiative locale réussie au Centre Eugène Marquis de Rennes pour les thérapies ciblées orales TCO

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Interview du Dr Brigitte Laguerre, du département d’Oncologie Médicale du Centre Eugène Marquis (Centre de Lutte Contre le Cancer) à Rennes rue de la Bataille des Flandres-Dunkerque, CS44229 – 35042 Rennes cedex – France)

Dr Brigitte Laguerre est oncologue médicale spécialisée en uro-oncologie et oncologie ORL.

Interview réalisée le 4 juin lors du congrès de l’ASCO par Dr Jérôme Sicard et Dr Fabrice Véron, pharmaciens d’officine et rédacteurs d’articles en direct du congrès de l’ASCO pour EPCO.

Le constat

Le parcours de soins du patient sous traitement anticancéreux oral est semé d’embûches, et surtout, il implique de multiples professionnels (hospitaliers et de ville) dont la communication et la coordination ne sont pas toujours aisées. La délivrance de ces traitements se fait en officine, par un pharmacien peu aguerri à ce type de traitement, et parfois en difficulté face aux questions du patient.

Le pharmacien d’officine est en première ligne dans le parcours de ces patients ambulatoires du fait de son implication dans la dispensation du traitement, la gestion des toxicités, les soins de support d’officine et les relations interprofessionnelles.

On peut constater que la structure des professionnels de santé PS est floue, a fortiori si l’on cherche les médecins traitants, les IDE, les pharmaciens motivés par cette démarche ; et que le PT est demandeur de ce type d’accompagnement tout au long du TAC et même après la fin du TRT.

Le parcours de soin du patient sous thérapie ciblée orale au Centre Eugène Marquis

Parti de ce constat, le Centre Eugène Marquis, sous l’impulsion du Dr Laguerre a mis en place un parcours de soins optimisé pour les patients sous thérapies ciblées orales (TCO), tout en  améliorant le lien ville-hôpital.

schémas complémentaires

a/ le temps pharmacien :

Depuis 2 ans et demi, le pharmacien du Centre Eugène Marquis, le Dr Bertrand, mène une évaluation systématique des interactions médicamenteuses pour tout patient sous TCO.

Et depuis 1 an, il assure une consultation pharmaceutique avec le patient durant laquelle il aborde les bonnes pratiques de prises médicamenteuses, il met en place les fondations d’une bonne observance, délivre un plan de prise, et sensibilise aux interactions médicamenteuses ; tout cela dans le cadre d’un programme d’éducation thérapeutique du patient ETP autorisé par l’Agence Régionale de Santé-Bretagne en Juillet 2013.

L’accès au DP (dossier pharmaceutique) est systématique, quand il existe. En l’absence de DP, le pharmacien du Centre incite le patient à en ouvrir un auprès de son pharmacien d’officine.

Puis, systématiquement, le pharmacien hospitalier appelle le pharmacien de ville pour l’informer de la mise en route de la TCO. Cet appel est suivi d’un envoi postal (et si possible via une messagerie sécurisée) du compte-rendu de la consultation pharmaceutique, de l’analyse des  interactions médicamenteuses et de la fiche d’information rédigée par l’OMEDIT de Bretagne-Pays de Loire. http://www.omeditbretagne.fr/lrportal/fiches-de-bon-usage-des-voies-orales

Le retour des pharmaciens de ville est rare, et l’équipe n’a pas pu encore évaluer leur degré de satisfaction, leurs attentes et besoins face à cette organisation.

b/ le temps infirmier :

Depuis janvier 2011, le patient sous TCO bénéficie au Centre Eugène Marquis :

  • d’une consultation d’accompagnement infirmier, au moment de l’instauration de la TCO
  • d’un suivi téléphonique hebdomadaire réalisé par une infirmière durant les 2-3 premiers mois du traitement
  • de consultation de suivi, précédent chacune des consultations médicales dont le rythme dépend de la pathologie cancéreuse, de son évolution, et de l’état de santé du patient. Au début, le patient va venir en consultation toutes les 4-6 semaines (en cas de mauvaise tolérance, un rdv supplémentaire est déclenché) ; puis, si la tolérance au traitement et l’évolution carcinologique le permettent, il sera vu en consultation médicale tous les 2-3 mois.

Trois IDEs, formées assurent le poste (1,2 ETP) du lundi au vendredi.

Elles disposent d’une salle de consultation dédiée, et d’une adresse mail (IDE.cliniciennes@rennes.unicancer.fr)

A chaque étape, l’objectif de ce suivi infirmier est de s’assurer de l’observance au traitement, de prévenir, dépister et prendre en charge précocement les effets secondaires de la thérapie ciblée orale, tout en orientant le patient vers son médecin traitant intégré à ce suivi.

A tout moment, le patient peut être orienté, en fonction de ses besoins et des demandes, vers les professionnels du Département de Soins de Support du Centre Eugène Marquis.

Cette activité infirmière croissante a représenté en 2015, pour une file active de 218 patients,  près de  1547 échanges téléphoniques entre le patient et les IDE dont 368 appels de patients (soit 23.8%) et 476 consultations infirmières de suivi.

Afin de renforcer le lien ville-hôpital, l’IDE appelle le médecin traitant du patient pour l’informer de la mise en route de la TCO, et lui envoie systématiquement la fiche d’information de l’OMEDIT de Bretagne-Pays de Loire, ainsi que le compte rendu de la consultation pharmaceutique.

De même, systématiquement, l’oncologue médical envoie au médecin traitant le compte-rendu de sa consultation médicale.

Enfin, dans certains situations (sujets âgés, etc..) l’IDE libérale du patient est contactée, afin qu’elle puisse participer au suivi rapproché du patient (prise de sang, tenue du semainier, suivi de l’observance, suivi tensionnel, tenue du carnet patient, etc…)

Nota bene :

A mettre en avant un excellent outil disponible en téléchargement THECITOX sur le lien : http://www.oncobretagne.fr/wp-content/uploads/2015/01/thecitox.pdf. THECITOX est un livret sur la prise en charge des effets secondaires des thérapies ciblées, rédigé par le groupe de travail Basse Normandie.

A noter que la Société Française de pharmacie oncologique SFPO  http://www.sfpo.com/ mène et publie des travaux sur les thérapies ciblées très intéressants.

c/ autres intervenants médicaux et paramédicaux

D’autres intervenants peuvent participer à ce parcours de soin patient, notamment les professionnels du Département de Soins de Support (diététicienne, équipe Douleur, psychologues, assistance sociale, podologue, etc…), l’équipe d’Onco-gériatrie et des médecins spécialistes dans le cadre de bilan pré-thérapeutique (cardiologue, dermatologue, etc…).

d/ le financement :

Depuis 2011, le financement d’une telle organisation a été permis grâce à un financement non pérenne de l’ARS-Bretagne, et par la cotation en hôpital de jour HDJ complexe quand cela l’impose.

Récemment, la mise en place récente au niveau national des Mesures d’intérêt général (MIG) va permettre la revalorisation  de cette prise en charge au moment de l’instauration de tout traitement anti-cancéreux oral (hors hormonothérapie)

La meilleure récompense est la satisfaction du patient et de ses proches, conscients d’être au cœur d’une prise en charge coordonnée multi-professionnelle.

Les voies de facilitation et d’amélioration

  • Comptes rendus digestibles

De même, les PS de ville souhaiteraient des comptes rendus plus digestibles, moins technico-techniques et plus centrés sur les attentes principales du service vis-à-vis des praticiens de ville (une toxicité mineure à moyenne peut être gérée en ville, une toxicité importante nécessite un appel rapide et le rdv dans le service). Exemples : une mucite invalidante à fort risque de dénutrition ; un syndrome mains-pieds dont la photo est envoyée par mail au service.

  • Participation aux formations des professionnels de ville :

Et pour bien communiquer, il faut se connaître de visu ; en 2014, le pharmacien du Centre a participé avec succès en EPU avec les pharmaciens de ville qui avait déjà créé du lien ville-hôpital V-H. Dès son retour du congrès de l’ASCO 2016, le Dr Laguerre organise un nouveau EPU avec une soixantaine  d’inscrits.

A noter que certains laboratoires pharmaceutiques commercialisant ces thérapies orales ciblées ont organisées un appel du pharmacien d’officine pour lui délivrer les principales informations (parfois sous forme de e-learning) sur ces traitements. Cet appel est déclenché par la commande transmise en laboratoire en direct ou via le grossiste-répartiteur.

  • Amélioration des outils de communication

Des outils sont à mettre en place pour faciliter la communication avec le patient et tous les soignants et les aidants qui l’entourent.

Les messageries sécurisées cryptées sont un outil idéal pour gagner du temps dans l’envoi des documents liés au patient, l’archivage de ces informations dans le dossier patient du logiciel métier des PS de ville (faisable pour les MG mais pas encore pour les Pharmacies) et surtout faciliter les échanges, les interactions, les questions suscitées et les réponses idoines.

Une plateforme sécurisée permettant de visualiser la structure de soins de ville, le parcours de soins du patient (sous la forme d’un chemin de fer « workflow »), son dossier pharmaceutique, médical (avec bien sûr son accord éclairé préalable).

Ce projet est une initiative locale réussie à déployer dans toute le France. A suivre…

FV JS

 

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